Une voix provenait de la sombre forêt, de derrière les chênes rugueux qu'enguenillait l'automne mourant, de derrière les halliers squelettiques et pourtant impénétrables, une voix tendue, prête à éclater, retenue telle l'ultime vitrail d'une cathédrale en ruines qui attend son dernier matin.
Une voix qui n'était pas parole, mais liturgie, prière, requiem.
Les paysans de l'Arno n’aimaient pas entendre ce chant en suspens, cette éternelle expiration. Ils se terraient dans leurs maisons délabrées, fermaient leurs petites fenêtres, et puis s'endormaient durant un jour et une nuit. Seul, le vieux Banaq, le doyen du village, sortait en cachette de sa grande demeure et pénétrait furtivement entre les buissons qu'étranglait une brume glaciale. Personne ne s'en apercevait, et il revenait chez lui avant que le soleil ne dissipe les inquiétudes des paysans effrayés. Un jour et une nuit s'étaient écoulés depuis que la litanie avait commencé, et le jour avait été semblable à la nuit : les champs noirs de désolation, le village muré dans son sommeil, la rivière sournoise dont l'eau engourdissait les poissons et, au loin, la forêt opalescente.
Texte écrit en 1992 et publié par Shadrack le 22 décembre 2004 sur http://achernar.over-blog.com/article-38785.html.