Un débat sur ce thème s'est déroulé lundi 16 mai au Celsa, école des métiers de l'information et de la communication dépendant de la Sorbonne. En voici un petit compte-rendu. Attention, les chiffres ont été récupérés à la volée et il est possible qu'ils ne soient pas parfaitement contextualisés. Cette restitution personnelle est aussi une interprétation qui ne prétend pas à la fidélité absolue ; les commentaires et corrections de points sont bienvenus.
1. C'est la fin du monde nous allons tous mourir
Yves Jeanneret, l'animateur, pose les termes du débat en revenant sur le désarroi qui nous frappe, nous les professionnels de l'information, de la communication et du marketing. Le futur des médias est en cause ; nous vivons une époque de changements traumatiques et, dans notre désarroi, nous nous interrogeons : les jeunes existent-ils ? Sont-ils le futur des médias ou leurs fossoyeurs ? Les digital tribes sont-elles les hordes de l'Apocalypse ou bien de futurs abonnés et clients fidèles ?
Il présente les intervenants : une femme d'entreprise, un journaliste, un universitaire et un homme de média.
2. Les jeunes sont des visiteurs comme les autres
Catherine Guillou est directrice de la politique des publics et de l'éducation artistique au musée du Louvre. Elle explique que le Louvre considère les jeunes sous deux angles : l'angle marketing et l'angle éducatif. Au-delà de la typologie des visiteurs et de son hypersegmentation compliquée par les "tuilages" (il y a les adultes, les adolescents mais aussi les adulescents), elle met en avant l'intérêt de raisonner en termes de visites avec des offres et un parcours. Dans un musée, la mesure du temps n'a rien à voir avec celle de la twittosphère. Homme de la fin des temps, contemple ton héritage. Pour C. Guillou, le public jeune est plutôt un mirage.
3. Pauvres, pessimistes, révoltés
Antoine Boilley est l'animateur de l'émission politique "Face aux jeunes" sur la chaîne MCE de France Télévisions. Il avance des faits, des chiffres en tout cas : 23% des 16-32 ans sont au chômage en France (le taux national est inférieur à 10%) et 21% en-dessous du seuil de pauvreté. Au second tour de l'élection présidentielle de 2002, cette classe d'âge a voté à 20% pour Jean-Marie Le Pen (un peu moins de 18% tous électeurs confondus). D'après un récent sondage, 26% penseraient que leur avenir est prometteur, contre 54% aux Etats-Unis. L'âge moyen d'entrée sur le marché du travail est 27 ans.
A. Boilley constate que les gens se connectent à Internet pour regarder... des contenus de télévision professionnels, par exemple en télévision de rattrapage (catch-up tv). Ce que j'en retiens, c'est que les gens consomment encore des rendez-vous médiatiques nationaux, qu'ils se réunissent encore dans le dimanche de leurs journées connectées pour partager le sermon. Est-ce un besoin inné ou acquis ?
4. Quel vieillissement a créé votre génération ?
Fausto Colombo a créé un Observatoire de la communication à l'Université Catholique de Milan. Il fait plusieurs observations très intéressantes, assises sur des recherches existantes comme celles de Jon Savage avec Teenage: The Creation of Youth Culture (l'invention des jeunes en tant que catégorie sociale).
Une génération ne naît pas génération : elle devient une génération. Une génération est déterminée par un usage technologique. Il y a la génération Internet. (Déjà les couches générationnelles s'accumulent dans l'infosphère, il y a des générations IRC et ICQ, une civilisation Friendster, jusqu'à Facebook... L'histoire continue sans atteindre une Singularité.) La nostalgie est liée à l'expérience technologique, nostalgie qui est plus forte que l'expérience vécue dans l'instant présent. F. Colombo illustre avec le cas de cet homme de 35 ou 40 ans qui met son iPod à l'intérieur de son Walkman...
Je note une autre remarque très intéressante sur la centralité des jeunes. Les jeunes sont un modèle, modèle physique avant tout. La race s'améliore, ils doivent être nous-mêmes en mieux, les petits veinards vivront plus longtemps. Ils occupent le devant de la scène. Cette centralité, cependant, n'est que symbolique et pas réelle. L'Italie en fournit un exemple : les jeunes n'y ont pas de poids politique. Heureusement, comme un aîné l'expliqua à F. Colombo à son arrivée à l'université : il ne faut pas s'inquiéter, "la jeunesse est une maladie dont on peut guérir avec les années".
5. Les jeunes existent parce que quelqu'un a quelque chose à vendre
L'invention des jeunes prend bien sûr tout son relief avec la publicité : le marché crée la demande, et la publicité se charge de la tâche. Vous avez été mesuré, évalué et étudié, et vous êtes jeune parce que vous êtes un consommateur jeune. Pascal Beucler travaille dans une entité du groupe Publicis en qualité de vice-président et directeur de la stratégie. Les jeunes pour lui, ce sont les digital natives que Mark Prensky oppose en 2001 aux digital immigrants.
Entre 2006 et 2010, la consommation de télévision en France a baissé de 35% tandis que celle d'Internet augmentait de 50%. Les jeunes s'y regroupent en communautés électives et interactives, exemplifiées par Facebook. Contrairement aux médias qui descendent des propositions, la logique d'Internet repose historiquement sur les relations interpersonnelles. Les modèles économiques du 19e et du 20e siècle sont déstabilisés ; l'âge médiatique a dépassé sa date de péremption. Pour répondre au désarroi mentionné par Y. Jeanneret en introduction, l'heure est au journaliste citoyen et à un journalisme démocratique.
6. N'ai-je donc tant vécu que pour cette infâmie
Le débat partait dans tous les sens et était parfois difficile à suivre, chacun plaçant ses réflexions, certes intéressantes mais au final étais-je le seul dans l'assistance à m'y perdre un peu ? Je vais accuser l'âge, car je ne suis plus tout jeune n'est-ce pas.
Les questions-réponses avec le public n'ont pas été très intenses ; quelques membres de l'assistance se sont néanmoins exprimés, dont un professeur de Bucarest dont je n'ai pas retenu le nom et qui a déclaré que la jeunesse contribuait au changement de la discursivité du monde, là où régnait un discours paternaliste. Un changement dans les mots donc, mais qu'en est-il dans les faits ?
Le public jeune n'est qu'un acteur désargenté dans le grand opéra de notre société. C'est celui sur lequel joue la lumière, en premier plan. De tout temps il a sa place dans la pièce. Mais il respecte de moins en moins le texte qu'on lui a donné, et le déclame de moins en moins longtemps car, de plus en plus vite, il rejoint les générations passées. Tant qu'il peut chanter les nouveaux couplets, il reste jeune, mais sa tête se remplit de plus en plus vite.
J'étais venu ce soir pour en savoir plus sur les digital tribes, je suis reparti avec une humilité renouvelée : les gens ne se laissent pas si facilement mettre dans de petites cases. Le mot "jeune" ne désigne pas un fait mais une construction mentale à laquelle celui qui entend contribue autant que celui qui prononce. C'est donc un mot idéal pour la communication et néfaste pour l'information.
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